Younes, quel est votre regard sur la notion de « vie en extérieur » ?
« J’ai une conviction, que je partage avec de nombreux confrères, qui est de créer des objets utiles. Je n’envisage le design qu’à travers la façon dont les gens vivent. Combler un manque, répondre à une demande, et non pas créer un énième objet destiné à servir l’ego du designer.
L’extérieur est selon moi un lieu de transition. On va de l’intérieur vers extérieur, et vice-versa, on est dans une dynamique qui intègre des moments de pause nécessaires. S’informer, se détendre, vivre. J’aime l’idée de « vie », qui prend son sens dans la continuité : la vie en extérieur s’inscrit dans un chemin, elle fait partie d’un tout.
Pourriez-vous nous expliquer comment la perception d’un lieu change en fonction des regards ?
Pour mon projet de fin d’études, j’ai mené une enquête autour de la notion de souk. Dans la langue française, le terme « souk » au sens figuré est synonyme de désordre. Cet exemple est représentatif de la vision que peuvent porter les Occidentaux sur le monde Arabe. Parce qu’un souk, c’est tout sauf du désordre, c’est un système très structuré. Toutes les étapes sont contenues dans un même espace : conception, fabrication, vente. Cette unité de lieu permet une adaptabilité instantanée. Le lien entre toutes les vies de l’objet est préservé.
Et qu’en est-il de cet objet que vous avez imaginé, le Belek ?
En observant les pratiques au sein de la Médina, je me suis aperçu qu’il manquait un objet pour transporter les produits. Les vélos et mobylettes étaient modifiés par leurs utilisateurs pour répondre à leurs besoins, et ce simple constat prouvait qu’on ne répondait pas à leur demande. J’ai alors imaginé cet objet, le Belek, un chariot pour transporter n’importe quel produit à l’intérieur de la Médina et pour faire ses achats en toute facilité.
Le Belek n’est pas un vecteur de statut social, il a pour seul but d’être utile, fonctionnel, ergonomique. Il s’intègrerait parfaitement à d’autres environnements extérieurs, en Inde, en Chine, et ailleurs. En Occident, des femmes et des hommes qui ne veulent plus prendre la voiture pour faire leurs courses pourraient même l’adopter. Il faudrait pour cela faire financer sa fabrication.
Qu’est-ce qui fait l’unité de la vie en extérieur en Méditerranée ?
Les peuples qui vivent autour de la Méditerranée se ressemblent énormément. Ce sont des gens qui adorent discuter, « papoter » pour utiliser un terme ancré dans le réel, se retrouver en extérieur pour échanger. La place du village est un lieu vraiment typique de la vie méditerranéenne.
Malheureusement, nous sommes en train de perdre ce dialogue au détriment de l’économie capitaliste. Si l’on parvenait à le renouer, nos peuples constitueraient une force économique et politique majeure. Et je crois énormément en la force du design pour adoucir les tensions et favoriser les rencontres.
Avez-vous des préconisations susceptibles de développer l’innovation, le design et l’attractivité sur nos territoires ?
En faisant remonter l’information, le designer peut faire valoir les attentes des peuples. Il peut créer de objets qui font sens, et faire place à l’humain. Ce sont aux designers de montrer comment les choses fonctionnent, pour que les fabricants qui ne sont pas sur le terrain puissent agir. Oui, je suis convaincu que le design peut changer le monde.